Quand les pierres font signe [1]
Note sur le galet d’Un jour, les pierres de François Cheng [2] et sur « Le Galet » de Francis Ponge.
François Cheng fait référence dans ce texte au « Galet » de Francis Ponge, dont la lecture a compté pour lui. À lire cette œuvre, il a autant apprécié l’attitude contemplative, ou plutôt l’exercice d’observation du monde, que prône le poète, qu’en langue, le travail effectué sur le signifiant. Il s’accorde aussi avec Ponge pour refuser de faire de la poésie le lieu de l’expression des sentiments ou de leur épanchement.
Cependant, Ponge se révèle trop matérialiste à son goût. Les choses, selon François Cheng, ne peuvent nous suffire, selon la conception d’une « image de la matière du monde inséparable de son principe spirituel [3] ». S’il est juste de dire comme Francis Ponge que le galet est semblable aux « restes impassibles de l’antique héros que fut naguère véritablement le monde [4] », qu’il est ce vestige issu de la nuit des temps, François Cheng veut ajouter à la représentation du galet une dimension supplémentaire. Une autre perspective s’ouvre alors, avec cette possibilité, qui est aussi la nôtre, de participer au principe de vie [5].
En effet, le monde, selon François Cheng, est encore en gestation. Certes, les calamités naturelles, les maladies, la mort sont des faits tragiques, qui éprouvent la fragilité de l’homme, mais suscitent également sa force de création. Il faut cultiver une forme de noblesse selon lui, non seulement pour assumer la dimension tragique de ce monde, mais aussi pour participer à la création, « au grand œuvre en cours de l’univers vivant [6] ». C’est pourquoi François Cheng se représente la vie comme une mission, en rejoignant une très ancienne tradition [7] : celle d’accomplir le devoir de vivre, malgré, ou avec, sa part de tragique, en accordant son souffle à celui du souffle vital qui relie les êtres et les choses selon la pensée taoïste. Dans cette perspective chengienne, l’homme et Dieu sont alors liés par une mutuelle reconnaissance, car selon le poète, ce Dieu est à concevoir non comme un dieu de commande, mais comme un dieu de dialogue.
C’est ainsi qu’il nous revient d’assumer notre condition. Et de tenir notre place dans le monde [8], comme le galet, d’une certaine manière, tient la sienne.
Reste ce scrupule : que la sorte de syncrétisme proposée par François Cheng, abordée ici par le prisme minuscule d’un caillou, nécessite, en raison de sa complexité fluctuante, d’être véritablement interrogée et historiquement étudiée.
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« Creusé par les ans », dans Un jour, les pierres
Creusé par les ans poli par les ans
Que peux-tu d’autre sinon te donner
au vent du large ?
Larme-sang condamné peine-joie consumée
Que peux-tu d’autre sinon te tourner
vers l’Origine ?
D’où jadis avait surgi le tourbillon
Rotation des astres ronde des marées
Désir insensé de nage, de vol,
Au travers des vagues déchaînées
Jusqu’à l’ultime plage
où tu étais échoué galet parmi les galets
Désormais tout ouïe
à l’écoute de l’inapaisable océan
Tel un orphelin égaré
pleurant à l’appel de sa mère
François Cheng,
de l’Académie française.
Pour citer cette ressource :
Marie Frisson, « Quand les pierres font signe. Note sur le galet d’Un jour, les pierres de François Cheng et sur « Le Galet » de Francis Ponge, Publications en ligne de la SLFP, automne 2023. URL : http://francisponge-slfp.ens-lyon.fr/?Le-Galet-selon-Francois-Cheng