Dans l’entretien qu’il accorde à Georges Vigarello, Alain Corbin revient sur le rôle des écrivains et en particulier de Ponge, dans la formation des sensibilités. Nous en reproduisons un extrait que nous a confié l’équipe de rédaction de la revue sur la recommandation d’Armande Ponge (voir également ci-dessous dans le dossier de presse) :
« On retrouve déjà la fascination de l’herbe verte chez Ronsard et dans la peinture de la Renaissance. Puis, ce thème tend à s’effacer après la publication de L’Astrée (1607-1627). En effet, il ne correspond pas à ceux prisés par les écrivains du XVIIe siècle – Milton mis à part – plus éloignés que leurs prédécesseurs du sentiment de la nature. En revanche, la célébration de l’herbe monte avec l’ascension de l’âme sensible, comme cela est perceptible dans les œuvres de Jean Jacques Rousseau, et avec plus d’intensité encore, des romantiques ; Maurice de Guérin, Lamartine, Hugo notamment, traitent de tout ce qui concerne le brin d’herbe, le pré, les prairies, etc. Récemment, des poètes, tels Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Jacques Réda, sont en quelque sorte hallucinés par l’herbe ; sans oublier La Fabrique du pré de Francis Ponge (Genève, A. Skira, 1971) ! Qu’est-ce que cela dit du point de vue des sensations, des émotions, de la sensibilité ? À mon sens, cette nostalgie dérive en partie de la souffrance suscitée par l’effacement de l’herbe dans notre société » (p. 79).