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Hommage à Pierre Oster (1933-2020) par Marie Frisson

D’une souche, un rameau (d’or)

Photo : Pierre Oster à Cerisy-la-Salle en 1975 (Archives familiales Armande Ponge).

On trouvera ci-dessous une page de lettre de Pierre Oster envoyée à Jean-Marie Gleize, sorte de "feuillet tombée du poème infini" qu’il avait l’habitude d’envoyer à ses correspondants.

Nous remercions Armande Ponge et Jean-Marie Gleize de nous avoir transmis ces précieux documents.
Cette publication a été autorisée par Armande Ponge et Jean-Marie Gleize.
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Voir également l’hommage de Michel Deguy du 25 octobre 2020 publié sur le site de Po&sie, celui de Patrick Kéchichian pour Le Monde du 27 octobre (réservé aux abonnés) et celui de Loïc Céry à ce grand ami d’Édouard Glissant (site de l’I T-M).

Pierre Oster, intime fidèle et dévoué d’Odette et Francis Ponge, ainsi que d’Armande Ponge, mais également ami de Jean-Marie Gleize et contradicteur souriant, est mort le 22 octobre dernier.
En 1975, il avait organisé, avec Philippe Bonnefis, le premier colloque de Cerisy-la-Salle dédié à l’œuvre de Francis Ponge, en présence de celui-ci - colloque dont les Actes ont été réédités par Hermann en 2011 [1].

Ces mots de Requêtes rappellent le lexique pongien, malgré des conceptions poétiques différentes : « [l]e langage est comme en amont de notre commencement. Souche et surgeons, il multiplie aussi les virtualités qui nous donnent d’exister dès aujourd’hui [2] ».
Voué à la célébration lyrique de notre monde, dans une dimension ontologique et sacrée, Pierre Oster a toujours affirmé sa confiance, et dans l’unité secrète de l’Univers ou du « Tout », et dans les pouvoirs du langage. Il n’a néanmoins jamais cessé de reprendre et de remanier ses textes, dans un souci de justesse au regard de la diversité et de la variété des choses, constituant ainsi l’écriture de la variation en une sorte d’art poétique.

Tour à tour encouragé par Pierre Jean Jouve, par Jean Paulhan et par Marcel Arland, Pierre Oster publie un « Premier poème » au Mercure de France en 1954, puis « Quatre Quatrains gnomiques » dans La Nouvelle Revue française. Son premier recueil, Le Champ de mai, paraît en 1955 chez Gallimard. Il reçoit alors le prix Félix-Fénéon, puis le prix Max-Jacob en 1958 pour Solitude de la lumière. Il est envoyé en Algérie pour deux années douloureuses (jusqu’en 1959) qu’il n’aimera guère évoquer, comme beaucoup d’autres appelés [3].
En 1961, grâce à Jean Paulhan, Pierre Oster rencontre Saint-John Perse, autre figure tutélaire. Il commence à travailler, comme éditeur, pour Claude Tchou auprès de Pascal Pia et de Jean-Claude Zylberstein, puis pour Jean-Jacques Pauvert, pour entrer finalement, par l’intermédiaire de Denis Roche, au comité de lecture du Seuil où il officiera jusqu’en 1995. Par ailleurs, il collabore, à la fin des années quatre-vingt aux éditions Le Robert (Dictionnaire des citations poétiques françaises).
Son oeuvre poétique est éditée, pour une grande part, par les éditions Gallimard, puis par les éditions Babel, mais aussi par d’autres maisons d’édition indépendantes comme Fata Morgana, Qui Vive, ou L’Alphée. Après son mariage avec Angela Soussoueva en 1971, il n’est pas rare que l’on trouve en couverture son nom d’auteur augmenté de celui de son épouse.
Une anthologie paraît en 2000 chez Gallimard, Paysage du Tout 1951-2000, préfacée par Henri Mitterand, et vaut pour consécration. Le Grand Prix de l’Académie française lui est finalement décerné en juin 2019.

Au terme d’un cheminement résumé ici de manière trop sommaire, on songe à cette résolution toute pongienne, née du sentiment partagé d’un émerveillement devant le monde pour se muer en profession de foi poétologique :

Je puis prendre mon parti de n’être pas poète :
je n’oublierai pas ce que c’est que Poésie. Murmure
de l’Eternel, et cela enfin qui fait que nous pouvons désirer de vivre
 [4].

Que l’on ne se méprenne pas, en croyant lire dans ces mots un élan d’enthousiasme naïf ou les marques d’un idéalisme daté. Il s’agit d’autre chose, que Pierre Oster a reçu de Ponge en héritage, mais aussi de Jouve et de quelques autres : fût-ce au péril de la solitude, fût-ce au péril de l’abandon, il y a comme une nécessité à s’affronter au langage et à interroger l’idée de poésie, ou peu importe le nom qu’on voudra lui donner, dans un monde qui n’a de cesse de déserter la poésie [5].

Alors, quelle que soit notre nuit, et même peut-être quand tout nous a été pris, on peut dire :

L’ombre dort à merveille. Quel cœur mystérieux
que ce verger qui luit !
 [6]

Marie Frisson


Pour citer cette ressource :

Marie Frisson, « Hommage à Pierre Oster (1933-2020). D’une souche, un rameau (d’or) », Publications en ligne de la SLFP, automne 2020. URL : http://francisponge-slfp.ens-lyon.fr/?Hommage-a-Pierre-Oster&var_mode=calcul


Notes

[1Stéphane Baquey, « Le colloque de Cerisy en 1975, Actes. Textualismes face au phénomène Ponge », Actes du Colloque de Cerisy « Francis Ponge : ateliers contemporains », J.-M. Gleize, B. Gorrillot, L. Cuillé (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 29-38.

[2Pierre Oster Soussouev, Requêtes, Montpellier, Fata Morgana, coll. « Explorations », 1977, p. 19.

[3Sur la question du silence lié à cette guerre, voir Catherine Brun (dir.), Guerre d’Algérie : les mots pour le dire, Paris, éditions du CNRS, 2014.

[4Pierre Oster, Solitude de la lumière, Paris, Gallimard, 1957, p. 135.

[5Pour prolonger ici, de mémoire, une libre réflexion de Jean Starobinski au sujet de Pierre Jean Jouve.

[6Pierre Oster, Solitude de la lumière, op. cit, p. 35.

Mis en ligne le 2 novembre 2020, par Marie Frisson