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Francis Ponge, Le Soleil / Die Sonne, édition de Thomas Schestag, 2020

Francis Ponge, Le Soleil / Die Sonne.
Traduction allemande, présentation et édition de Thomas Schestag.
Berlin, Verlag Matthes & Seitz, 2020.
883 p.
98,00 €
ISBN : 978-3-95757-775-7

Nous remercions Thomas Schestag de la note introductive inédite présentée ici, ainsi que de cet extrait de la préface, que nous publions avec l’aimable autorisation des éditions Matthes & Seitz.

Voir sur le site de l’éditeur.

Parmi les dossiers inédits de Francis Ponge, Le Soleil est l’un des plus volumineux. C’est aussi l’un des plus importants.

Sa conception s’étend sur trois phases. Entre 1920 et 1931, Ponge écrit une série de poèmes et de textes en prose brefs sous le titre de MYTHE du JOUR et de la NUIT, et dont le dernier sera le début du « Galet », que l’on retrouve à la fin du Parti pris des choses. Dans ces textes, Ponge s’en prend à la violence du soleil, dont l’apparition quotidienne révèlerait le caractère véritablement opprimant, qui mue le jour en « prison » et l’occupation journalières des êtres humains en « travaux forcés de l’azur ». En outre, le jour ne fait pas que donner à voir. Il aveugle aussi, puisqu’il ferme les fenêtres du monde. Il interdit le spectacle d’innombrables soleils qui ne sont perceptibles que pendant la nuit. Mais le soleil est aussi, et a fortiori, responsable du règne de la langue des êtres humains comme langage de jugement, chaque jugement se voulant être un jugement dernier (bientôt remplacé par un autre, bien sûr). Seule le court laps de temps s’écoulant entre nuit et jour – ni tout à fait nuit ni tout à fait jour – permet, selon Ponge, une perception autre des choses et des mots, car y sont mis en suspens, et le régime (totalitaire) du langage juridique, et la distribution des êtres humains en juges et condamnés à mort. La dernière série de textes de cette première phase, « Le processus des aurores », écrite entre 1928 et 1931, convertit l’attaque contre le soleil en plainte, et la plainte en accusation portée contre lui. Mais cette accusation ne confirme que ce qu’elle conteste, à savoir la domination du langage juridique. Cette impasse, une véritable aporie, paralyse l’explication avec le soleil et la constitution du dossier s’en trouve marquée d’une première césure.
Ponge ne reviendra aux notes du Soleil que dix-sept ans plus tard, en 1948. Cette reprise du dossier est marquée d’un changement décisif, car le soleil n’y est plus du tout considéré comme un objet à décrire ou à décrier. Il n’est plus un, mais plus (ou moins) qu’un. Le soleil, adressé dès la première note (nouvelle), n’est ni exclusivement la chose, ni exclusivement le mot. L’approche de Ponge se fait précise et ironique, voire abyssale. Sous le titre, en haut et à gauche de la page, Le Soleil, Ponge écrit : « Il est normal que le soleil brille / d’abord en haut et à gauche de la page ». La deuxième phase du dossier, qui s’étend de juillet 1948 à avril 1953, va exploiter, de manière inconséquente et risquée, toutes sortes de séquences et contraséquences à partir de ce clivage initial du Soleil. Au cœur de cette deuxième phase se trouvent les textes « Le soleil lu à la radio » et une série de plus de quarante variations (sans thème), sous le titre, ajouté après-coup, du « Soleil fleur fastigiée ».
En avril 1953, l’artiste Jacques Hérold propose à Ponge d’extraire un texte du dossier du Soleil et d’en faire un livre illustré pour la collection « Droséra », éditée par Manou Pouderoux. Cette invitation mène Ponge à rassembler et réarranger dans un cahier appelé « Cahier Nuage de sang » la quasi-totalité des notes prises depuis l’été 1948. Pendant douze mois, de mai 1953 à mai 1954, Ponge s’acharne à ajouter des séquences en vue de l’ouverture du livre. C’est dans ces passages, d’une grande portée poétologique, que se dessinent les contours d’un genre inouï que Ponge va nommer objeu. Le livre qui voit le jour en décembre 1954 dans une édition de luxe porte le nom de Le soleil placé en abîme. Celui-ci sera repris en 1961 dans le volume Pièces du Grand Recueil.

Le dossier du Soleil que Francis Ponge vend à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet en juin 1960, et qui est conservé dans une « boîte de cuir et de cuivre oxydé » fabriquée par la relieuse Monique Mathieu, n’en est pas pour autant aujourd’hui un simple fonds de notes ayant abouti au Soleil placé en abîme. En effet, cette nouvelle édition du Soleil montre en quoi le dossier excède le texte publié qui en était extrait, et le déborde, à tout point de vue, en déplaçant l’abîme du texte imprimé vers un abîme anecdotique : inclassable, implaçable, abondant, abandonné.
Y sont réunis pour la première fois les manuscrits et tapuscrits du dossier, le texte inédit du Cahier Nuage de sang (aujourd’hui consultable à la Bibliothèque Royale de Belgique) et plusieurs pages inédites des Archives familiales, soit 275 reproductions en couleur, avec leur transcription, leur traduction en allemand et un commentaire philologique également en langue allemande. L’extrait ci-joint donne à lire la préface et la première page du dossier.

Thomas Schestag
Brown University


Pour citer cette ressource :

Thomas Schestag, « Sur l’édition du Soleil / Die Sonne », Publications en ligne de la SLFP, automne 2020. URL : http://francisponge-slfp.ens-lyon.fr/?Francis-Ponge-Le-Soleil-Die-Sonne


Mis en ligne le 7 novembre 2020, par Luigi Magno