Hommage à Bernard Beugnot (1932 - 2023)
Bernard Beugnot a « habité la littérature » avec rigueur et certainement aussi avec bonheur. En alliant méthode et curiosité intellectuelle, et sans se restreindre à son champ privilégié, le XVIIe siècle, dont il était un éminent spécialiste, il a porté une attention toute particulière aux outils propres à la recherche littéraire. Il en va ainsi des bibliographies annotées, des inventaires ou encore des éditions critiques établies dans le cadre de grands travaux de recherche dont il a assuré la direction ; le sous-titre du Manuel bibliographique des études littéraires, mis au point avec José-Michel Moureaux, révèle toute la portée de ce méticuleux travail de compilation qui vise à signaler « Les bases de l’histoire littéraire et les voies nouvelles de l’analyse critique ». La recension critique, dont il a très tôt fait une pratique, constituait par ailleurs pour lui une « indispensable et précieuse boussole » pour les chercheurs, jeunes ou aguerris.
À sa remarquable érudition s’ajoutait une très grande générosité qui a marqué ceux qui ont eu le grand privilège de suivre ses cours, de collaborer à ses travaux de recherche et de participer à leur publication. Écrire une thèse sous sa direction permettait de bénéficier de ses larges connaissances (leur transmission étant une règle pour lui) et, davantage encore, de son humanisme. Toujours féconds, les échanges et les rencontres reposaient sur une écoute aussi attentive que bienveillante.
Les travaux de Bernard Beugnot ont souvent été marqués par l’audace. En témoigne par exemple, dès 1992, le colloque intitulé Les Voies de l’invention aux XVIe et XVIIe siècles [1] et consacré à l’étude génétique d’œuvres sans brouillons ni manuscrits. Les études publiées en collaboration avec Robert Melançon ont contribué à infléchir les théories génétiques en s’attardant à des œuvres qui, jusque-là, étaient exclues du corpus d’une discipline qui privilégiait les « manuscrits modernes ».
Parce que les archives constituaient selon lui un véritable « socle » pour la recherche littéraire, une « assise qui éclaire sans être porteuse de réponses toutes faites », Bernard Beugnot a proposé, à titre de « littéraire et historien de la littérature », un tableau du renouveau d’intérêt suscité par les archives au tournant des années 2000. Sa réflexion prenait appui sur ses diverses expériences éditoriales et sur sa lecture minutieuse de corpus et fonds variés, notamment les plus récents chantiers qu’il a explorés : les archives de Francis Ponge et de Jean Anouilh dont il a publié les œuvres dans la collection de La Pléiade. Au cœur de cette vaste réflexion sur les enjeux de la recherche figure une sorte de mise en garde quant au caractère toujours lacunaire des archives qui sont tout à la fois, tenait-il à préciser, « une mine et une menace » (Archives littéraires et manuscrits d’écrivains : politiques et usages du patrimoine [2]).
Au précieux legs intellectuel de Bernard Beugnot, dont cet hommage ne propose qu’une esquisse, s’est progressivement greffée, au fil des années et des lectures, une amitié plutôt rare dans le monde universitaire. Pour cela aussi j’ai toujours tenu à le remercier.
Jacinthe MARTEL
Professeure associée
Département d’études littéraires
Université du Québec à Montréal