...Le destinataire, le fragment, le livre, la revue...
Si je publie un livre, j’ai le sentiment que c’est moi qui l’expédie, et que c’est définitif, et que j’en suis le seul responsable. S’il s’agit d’une revue, et même si tu me donnes un numéro entier de revue, effectivement, non...Je m’adresse d’abord à toi, à ceux qui m’ont invité, ensuite à un public qui n’est pas en principe le mien. Il y a des distorsions, des diffractions...Je m’adresse à un public préalable, fondé par l’existence de la revue. A partir de quoi je peux me promener, pour moi, entre ce que serait écrire dans un journal, à un extrême, et lorsque j’écris pour tel journal ce n’est pas pour un autre, et à l’autre extrême écrire dans un livre, c’est-à-dire je me demande bien, au-delà des quelques effets sur ma vie personnelle, pour qui.
Un journal par définition existe. Un livre que j’écris par définition n’existe pas. Et il y a les revues...
A propos de ce que tu disais de l’inachevé et du fragment. Je me pose, il se trouve que depuis deux ou trois ans, je n’ai jamais cessé d’écrire du roman, jamais, ou de la fiction. J’ai écrit depuis Voilà les morts, et avant, bien sûr, toutes sortes de feuilles, que je ne conserve que très peu, je ne sais pas trop ce que j’en fais, et puis peu à peu le projet de roman, les pages s’accumulent quand même, le projet avance...et l’une des idées de ce roman que je suis en train peut-être d’écrire, par périodes, mais de façon de plus en plus assidue, depuis quelques temps, le projet serait d’en faire un livre qui serait l’envers des précédents...L’exemple de Ponge m’intéresse bien. Aujourd’hui. Non pas qu’il ne m’ait pas intéressé autrefois, mais il m’intéresse bien pour mon économie, maintenant. Ponge qui vers la quarantième année a cessé de rechercher exclusivement ce qu’il appelle le texte "clos", la "perfection", pour s’exposer dans l’inachevé, le fragmentaire avoué, le brouillon, le journal. Cela m’intéressait bien chez Ponge lorsque je l’ai découvert, cela m’intéresse aujourd’hui parce qu’il me semble que dans une tout autre histoire et certainement par de tous autres moyens je suis conduit à un renversement semblable (...) ".
(p. 83-84)
Pour citer cette ressource :
Marie Frisson, « Hommage à Jean Thibaudeau. Partie I », Publications en ligne de la SLFP, automne 2017. URL : http://francisponge-slfp.ens-lyon.fr/?Hommage-a-Jean-Thibaudeau-Partie-I