Le texte de Bernard Beugnot se présente, non comme une étude linéaire et exhaustive du texte de Francis Ponge, La Chèvre, mais comme une étude synthétique de certaines questions affrontées par Ponge dans son œuvre, par l’oblique d’un texte représentatif de sa méthode d’approche et de sa manière d’écrire.
La perspective choisie rend justice à la richesse intrinsèque du texte et à l’originalité de la démarche pongienne, entre héritage traditionnel et inventivité formelle. En effet, comme le relève Bernard Beugnot, l’auteur use de toutes les ressources rhétoriques mises à sa disposition, de l’hypotypose à l’allégorie, en usant de la capacité d’auto-engendrement des tropes, pour rendre compte, moins d’une réalité matérielle, animale, que d’une notion, « objet abstrait de connaissance ».
« La Chèvre, c’est donc l’objet poétique mis en fable, mais c’est aussi une fable poétique » (page 12) : les possibilités littérales et figurées du langage permettent de constituer une allégorie qui, en retour, grâce à la formulation qu’autorise le détour par la fable, expose les enjeux poétiques auxquels s’est affronté l’écrivain. Sont ainsi illustrés, d’une autre manière, « les caprices de la parole » qui étaient déjà évoqués dans Proêmes [1] et qui ravivent ici la rêverie étymologique chère à l’écrivain [2].
La référence à la tradition classique ne suppose pas, toutefois, les mêmes tenants et aboutissants qu’impliquait celle-ci : les questions morales et spirituelles sont ici laissées de côté afin de privilégier la philosophie du langage, car « si faiblesse il y a pour Ponge, elle réside dans le langage, qui ne cesse de masquer ou de trahir les choses » (page 14). Mais ceci, moins dans une visée philosophique que poétologique - qui a son pendant éthique, de sorte que l’animal négligé par Esope, par Phèdre et par La Fontaine est élevé à la dignité poétique.
M. F.