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Lettre de René Char à Francis Ponge (07 décembre 1945)

La poésie et la guerre. Au sujet de l’« Affaire Céreste ».

Cette publication a été autorisée par Madame Marie-Claude Char, ainsi que par Madame Armande Ponge, que nous remercions.
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Pour plus d’informations au sujet de la contribution de Francis Ponge aux activités du journal Action, vous pouvez consulter l’article que lui a dédié Pauline Flepp dans le numéro 2 des Cahiers Francis Ponge aux pages 23 à 47.

En 1945, René Char adresse une lettre à Francis Ponge, datée du 07 décembre, en lui demandant de faire publier un mot dans la rubrique des « Échos » d’Action au sujet des derniers événements qui agitent Céreste, le village où il habitait, durant la guerre, alors qu’il combattait dans la Résistance : il veut dénoncer les calomnies dont sont victimes ceux des habitants qui l’ont protégé durant la guerre. Caché chez Marcelle Sidoine et sa fille, il assistera notamment à une scène de solidarité à son égard de la part des villageois sommés par l’ennemi de révéler le lieu où il réside. Le billet de René Char, « Résistance n’est qu’espérance [1] », que nous publions ci-dessous à la suite de la lettre, paraît finalement dans le numéro d’Action du 08 février 1946 [2]. René Char fait également imprimer à Forcalquier une affiche intitulée « On ne nourrit pas un village avec des ordures », qu’il a placardée courant janvier 1946, dans le village de Céreste.

Il faut noter que la rubrique des « Échos », placée à la page 2 d’Action , s’intitule désormais « Ce qui se dit, ce qui se fait, ce qui se trame » et permet, à doses variables d’ironie, de faire passer des messages tout en relayant les nouvelles politiques du moment [3] .

Quels que soient l’attachement qu’il ressent pour ce lieu ou la reconnaissance qu’il a éprouvée envers ceux qui l’ont protégé, René Char retournera vivre à L’Isle-sur-la-Sorgue après la guerre, tandis que Marcelle Sidoine restera finalement cérestaine.

Héroïque, banale, ou consternante, la réalité des actions humaines est surtout fluctuante et elle n’autorise aucune certitude. Ainsi, elle lance sans cesse à l’historien un défi d’interprétation [4] : elle n’est, en tout cas, jamais insignifiante et reste toujours instructive. Qu’on les juge oraculaires ou non, chacun pourra méditer en lui-même ces mots des Feuillets d’Hypnos, forts de l’expérience amère acquise durant l’Occupation et dans l’immédiat après-guerre :

Cette guerre se prolongera au-delà des armistices platoniques. L’implantation des concepts politiques se poursuivra contradictoirement, dans les convulsions et sous le couvert d’une hypocrisie sûre de ses droits. Ne souriez pas. Écartez le scepticisme et la résignation, et préparez votre âme mortelle en vue d’affronter intra-muros des démons glacés analogues aux génies microbiens [5].

M. F.

Notes

[1Ce sera le titre du « Feuillet 168 » des Feuillets d’Hypnos : « Résistance n’est qu’espérance. Telle la lune d’Hypnos, pleine cette nuit de tous ses quartiers, demain vision sur le passage des poèmes ». René Char, « Fragment 168 », Feuillets d’Hypnos, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1983, p. 215.

[2Sur la question de la poésie de Char et de son engagement, voir les travaux de Jean-Claude Mathieu, de Laurence Bougault, d’Isabelle Ville, de Laure Michel, ainsi que le Dictionnaire René Char, dirigé par Danièle Leclair et Patrick Née pour Classiques Garnier en 2015.

[3En 1946, le département où se situe Céreste s’appelle encore les Basses-Alpes, avant de devenir les Alpes-de-Haute-Provence, à partir des années soixante-dix.

[4Comme le montrent notamment les travaux de Robert Paxton, de Jean-Pierre Azéma, d’Henry Rousso, de Claire Andrieu, de Marc Olivier Baruch - au sujet, par exemple, de l’immédiat après-guerre.

[5René Char, « Fragment 7 », Feuillets d’Hypnos, op. cit., p. 176.

Mis en ligne le 24 décembre 2022, par Luigi Magno